Les études supérieures

Hermine : Bienvenue dans H comme handicapé·e, le podcast qui donne la parole aux personnes handicapées, parce qu’on ne les entend pas assez. Pour ce nouvel épisodes témoignages, vous allez entendre trois personnes qui racontent les discriminations qu’elles ont subies lors de leurs études supérieures. Que ce soit en IUT, en licence ou en prépa littéraire, ces témoignages montrent encore une fois que quelque soit le domaine, rien n’est pensé pour les personnes handicapées. TRIGGER WARNING : le dernier témoignage mentionne une tentative de suicide.

TEMOIGNAGE 1

Lorsque que j’étais en DUT, en Île-de-France, mon IUT, l’établissement scolaire dans lequel j’ai été donc, était rattaché à la faculté de Paris huit. Je suis en fait… ben du coup, un étudiant handicapé, et j’ai des difficultés à… à suivre le rythme de cours des valides. Dans ce cadre-là j’avais demandé une, une dispense d’assiduité et aussi de porter des écouteurs en cours, et bien évidemment, j’avais demandé à ce que quelqu’un prenne des notes pour moi. A l’université de Paris huit on appelle ça une demande de PAEH, et… comme mon IUT était rattaché à Paris huit en fait, il fallait que je fasse une demande à la faculté de Paris huit au service handicap directement, et que je vois un médecin, là-bas, le médecin de Paris huit. Donc je vais le voir, tout se passe bien, j’ai le droit à ma dispense d’assiduité, la prise de note, en fait il coche tous les aménagements demandés, et pour ça il faut que j’envoie un mail à un autre service handicap, pour la prise de notes où je spécifie… ben certaines choses. Donc je regarde le document et là j’ai un gros problème : je me rends compte qu’il me demande mon emploi du temps, et autant à la fac un a un emploi du temps, autant en IUT, pas du tout, notre emploi du temps il change chaque semaine, donc c’est littéralement impossible de noter notre emploi du temps pour la demande de prise de note en cours, parce que c’est extrêmement régulé de manière stricte et ils veulent vraiment chaque horaire, chaque cours, chaque professeur, etc., etc. Et… ben impossible pour moi de le faire. Du coup mon témoignage je l’ai dit, c’est… validisme… administratif et discrimination de classe. Donc je vais expliquer pourquoi : en fait, c’était pas un validisme malveillant, c’était pas fait pour mais c’était du validisme administratif parce que du coup, ben en fait, le… les points administratifs qu’on me demandait, ils étaient impossibles à faire pour moi, et c’est en ça que c’était de la discrimination de classe parce que évidemment, si tout est pensé pour les élèves, ‘fin les étudiants qui vont en faculté, et ben, pour les élèves qui vont en IUT c’est impossible à tenir, et on sait très bien que les personnes qui vont en IUT, ben… sont pas les mêmes classes sociales que celles qui vont à la fac.

Du coup ce qui est adapté pour la faculté ne l’est pas pour les IUT, et ça c’est un gros problème en fait. Parce que du coup, en fonction des classes sociales d’où on vient, on a plus de chances de finir en IUT qu’à la flac, à la fac, pardon. Selon notre classe sociale, et, finalement, les dispositifs qui sont mis en place pour la faculté ne le sont pas pour les IUT, et du coup ça a été impossible pour moi d’avoir quelqu’un qui fasse de la prise de note durant toute l’année. Ça a été impossible, du coup j’ai jamais eu de la prise de notes et j’ai dû demander à des étudiants de prendre des notes pour moi, mais ils étaient pas payés pour ça alors que normalement à la fac, ben, quand on est handicapé·e, on a le droit à des gens qui font de la prise de notes mais qui sont payé·es pour ça donc le travail est de meilleure qualité. Mon dernier point c’est sur… la dispense d’assiduité, alors j’ai mis un an à l’avoir alors qu’elle avait été acceptée dés la première année de DUT, donc dés le début elle avait été acceptée. Et en fait c’était pas dû à de la malveillance ou quoi, c’était juste que mon IUT est extrêmement stricte sur les absences, mêmes justifiées de manière médicale, on n’a pas le droit à plus d’un… je sais pas… vingt heures d’absences, qui équivaut à littéralement deux jours de cours, donc c’est très peu, du coup ils voulaient pas me laisser à dispenser de cours, parce qu’en fait ils avaient pas compris que ma dispense d’assiduité servait à être dispensé des horaires de cours de valides. Et du coup pendant un an ils me l’ont refusé, alors que j’avais la validation de Paris huit, et au final ils l’ont accepté un an plus tard quand ils se sont renseigné sur le sujet.

TEMOIGNAGE 2

Alors moi je… je souhaiterais témoigner sur le thème des études supérieures et du handicap. Alors déjà c’est un sacré parcours pour réussir à en arriver aux études supérieures, alors je voudrais surtout parler d’une expérience de discrimination que j’ai… vécue lors de ma deuxième année de licence. Il faut savoir que j’étais en licence « sciences de la vie et de la terre », et que dans une matière il y avait une sortie qui était programmée et cette sortie était notée, mais sauf qu’elle était organisée sur toute une après-midi et ne pouvant pas marcher pendant toute une après-midi j’ai demandé au prof en lui envoyant un mail, qui était aussi responsable de la licence, si cette sortie était aussi accessible en fauteuil, et il connaissait bien mes problèmes de santé donc, voilà. Et celui-ci m’a répondu qu’il était désolé de mon, que mon état se soit dégradé alors qu’il n’était pas dégradé, c’était juste que… quand je venais à la fac je marchais parce que j’étais juste sur le campus mais en dehors je pouvais pas marcher plus, quoi. Et que non, la, la sortie n’était pas accessible, donc, ben je vais pas à la sortie si c’est pas accessible, je peux pas marcher, enfin… Et quand j’ai reçu mon bulletin j’ai été… j’ai eu la surprise de voir que je n’avais pas validé cette matière-là, alors que ma note aux partiels était supérieure à dix. En fait j’étais notée absente pour la sortie, mais c’était une absence qui comptait comme un zéro. Et quand j’ai demandé des explications, j’ai jamais eu de réponses, donc mes parents ont saisi le droit des hommes, mais la fac ne leur a jamais répondu. Heureusement j’ai eu de la chance après de valider par compensation et… de finir ma licence dans une autre fac parce que, vraiment, j’ai eu que des emmerdes dans cette fac (petit rire).

TEMOIGNAGE 3

Coucou, alors pour les quelques handis qui ont échappé à cette histoire qui s’est passée il y a cinq ans, on va vous parler de la déplorable histoire du « cubegate », comme je l’appelle. Alors dans le jargon des classes préparatoires « cuber » ça veut dire répéter la deuxième année de la prépa, ici j’étais en prépa littéraire, pour avoir les concours. Donc on était en 2018 et je voulais vraiment avoir l’ENS de Lyon, c’était le but de ma vie, et en plus (rire), ma crush voulait cuber aussi, et elle a cubé, et elle a eu l’ENS, mais je suis pas sorti·e avec. Et on nous a expliqué qu’il fallait être sous-admissible, donc dans le premier tiers… au concours, pour le faire, sauf que j’apprends avec la gueule de bois du bal de fin d’année qu’ils m’ont refusée, même sans m’avoir consultée ni rien, histoire de bien enfoncer en plus, et ben ils rajoutent « non-admise a cubé » sur mon bulletin. Mais déjà à l’époque il y avait des trucs louches, rien que le fait qu’on n’attende pas nos résultats alors qu’on avait clairement dit qu’il fallait avoir des bonnes notes au concours, mais surtout t’avait des légués qui m’ont avoué qu’on les a fait sortir de la classe au moment des délibérations, et qu’on les a fait rentrer quand ils avaient déjà pris leurs décisions. Déjà tu sentais qu’ils faisaient un truc pas très légal, bon évidemment dans ma tête c’était la fin, surtout que en plus j’étais amoureuse, je voulais vraiment ce concours, et les profs me soutenaient pas.

Sauf que, retournement des situations, je suis sous-admissible. On passait la célébrations et l’auto-congratulation d’avoir mis un immense doigt dans leurs attentes… Je leur demande quand même si je peux cuber vu que c’est bon, je suis sous-admissible, j’ai le droit. Bon et là le doute sur l’impunité totale du lycée Faidherbe de… de Lille apparait au grand jour, ouais j’ai pas hésité à les afficher, j’en n’ai plus rien à foutre, s’ils m’ont pas pris c’est parce que j’avais un diagnostic d’autisme et que j’avais des aménagements, et que je n’arrivais pas à faire les oraux et que quand même c’étais pénible, ils m’ont avoué hein, la prof de français elle m’a sorti des trucs du style : « nan mais on va prendre que cinq personnes, nan mais avec votre handicap on devait plus s’occuper de vous pour les autres élèves, donc si vous voulez vraiment cuber, ben vous avez… vous avez qu’à déménager »… J’ai dit : « mais j’ai pas envie de déménager », « ah ben c’est que vous voulez pas vraiment cuber alors ». Et j’apprends, pas longtemps après que… ils ont pris plus que cinq personnes, et ils ont accepté en plus des gens qui avaient bien moins réussi les concours que moi, mais qui étaient valides. Donc… là moi et mes parents ils comprennent qu’on s’est f… qu’on s’est foutu de notre gueule, et ils écrivent à tous mes profs, un par un pour leur passer un savon, en précisant que ben manque de bol pour eux, mon prof, mon père c’est lui meme un prof des universités. Donc il y en a qui connait le système, et il a lâché ce passif-agressif « on ne porte pas plainte, mais on pourrait ». Ben leur silence était un aveu quand même, personne n’a répondu et on leur a dit, mes parents on dit «  c’est de la discrimination », ben ils ont pas nié. Bon sur le moment j’avais super honte de m’être fait refouler comme ça, j’étais affreusement déprimée au point que une fois à la fac je pensais ne pas avoir de licence, mais au final, j’ai l’air énervée mais cette histoire j’en n’ai absolument rien à foutre, j’ai réussi mes études. Finalement j’ai été prise dans la meilleure prépa agrèg’ de France alors que ils m’ont dit explicitement qu’ils pensaient que j’aurais jamais l’agrèg’. Finalement je l’ai pas passé, je suis allée à sciences po à la place, et ces bouffons, pour ôter quelques doutes, ils ont aussi empêché de cuber un pote à moi qui lui était plus doué, il était troisième de notre classe, en première année, mais comme il a fait une crise d’angoisse au concours, ben les mecs… ils l’ont pas pris. Et lui il est allé cuber ailleurs et il est arrivé sixième au CABES. Des génies on vous dit, mais cette hisoire est passée à la postérité car ma famille, mes potes de la prépa, s’en souviennent et ils racontent régulièrement la pathétique hisoire de Faidherbe et du cubegate, et sur comment j’aurais pû porter plainte et gagner mais je l’ai pas fait. Mais en fait, quelque part je suis fière que cette hisoire, on l’ai raconter à tant de gens… je suis passée à la postérité et finalement Faidherbe sont clairement les méchants de l’affaire. Mais je finirais quand même sur une note pas très drôle parce que j’avais envie de mourir, vraiment, et c’est peut-être le plus grave, c’est qu’après ma tentative de suicide on m’a convoquée dans le bureau pour me préciser que quand même mes notes j’étais sûrement sur-notée. Après ma tentative de suicide… (soupir) aurevoir à tous et bonne soirée.

Hermine : Pour terminer cet épisode je voulais parler d’un sujet qui ne concerne pas directement les études supérieures, mais qui est en lien puisque avant d’arriver aux études supérieures il faut déjà être scolarisé en primaire, en collège et en lycée, et que à l’heure où j’enregistre cet épisode, on est le douze janvier, et le syndicat forces ouvrières appelle à la grève et à la manifestation le vingt-cinq janvier contre l’inclusion systématique des enfants handicapés en milieu ordinaire. Donc la manifestation sera déjà passée quand cet épisode sortira mais je pense que c’est très important d’en parler, sachant que… je pense que très peu de médias généralistes vont en parler et que encore une fois ce sont toujours les personnes concernées qui en parlent, mais vraiment c’est extrêmement grave et je devrais même pas avoir à expliquer en quoi c’est extrêmement grave, et ça devrait même pas être un débat, l’inclusion des enfants handicapés en école ordinaire. Mais en 2024 c’est toujours un débat apparemment. Donc pour rappel l’exclusion des enfants handicapés du milieu ordinaire ça veut dire le placement de ces enfants en IME et en institution, et les IME et les institutions ne sont pas des écoles, les heures de cours y sont quasiment inexistantes et quand cours il y a, le niveau des cours est très bas, sans parler du fait que les institutions sont des viviers de violence et de maltraitance et que la pédocriminalité y est très élevée et que ça fait plusieurs années déjà que la France se fait rappeler à l’ordre par l’ONU qui lui demande de fermer ces institutions justement à cause de ces violences et à cause de ces maltraitances. Je ne dis pas que les conditions de travail des profs à l’éducation nationale ne sont pas désastreuses et compliquées et etc. etc. Mais tout ça ce n’est pas la faute des enfants handicapés. Exclure les enfants handicapés des écoles ordinaires ne résoudra pas le problème de l’éducation nationale. Si vous cherchez un coupable, regardez plutôt du côté de Macron et de ses gouvernements à répétitions qui détruisent le service public, peut-être une idée comme ça. Encore une fois les privilégié·es qui prennent les minorités comme bouc émissaire, et plus particulièrement les personnes handicapées, c’est toujours le même problème, c’est toujours le même argument de « c’est trop compliqué de s’adapter aux personnes handicapées, ça coûte trop cher », et encore une fois c’est toujours ce même message de « les personnes handicapées sont un poids pour la société et les personnes handicapées dérangent et on ne veut pas les voir ». C’est ça que… que cet… cet appel à manifester renvoie comme message : le fait que on préfère que les enfants handicapés soient enfermés dans des institutions, comme des animaux, plutôt que d’être traités comme des humains et avoir accès à des droits basiques, qui est, je le rappelle, juste un droit à l’éducation. Et j’aimerais rajouter aussi parce que j’ai vu pas mal de témoignages de parents d’enfants handicapés qui disent que leurs enfants se font harceler à l’école parce qu’ils sont handicapés ou sont moqués etc. et se disent que peut-être leur enfant serait mieux en IME avec des enfants qui leur ressemblent, et j’aimerais dire que en plus de la pédocriminalité, de maltraitances, et du manque d’hygiène etc. etc., le harcèlement peut aussi se faire entre enfants handicapés, les IME ne sont pas le monde des bisounours. Il faut vraiment arrêter de, d’essentialiser les personnes handicapées et de tous nous mettre dans le même sac et de nous infantiliser et de penser qu’on ne fera jamais de mal à une mouche en fait. Il y a vraiment rien qui va dans, dans ce discours pro-institution, et l’exclusion des enfants handicapés, des personnes handicapées et des minorités en général, l’exclusion et l’enfermement ne seront jamais, mais vraiment jamais des solutions, et quelque chose de positif, vraiment. Je pense que je vais m’arrêter là sur ce sujet, et que je vais du coup conclure cet épisode. Merci aux personnes qui ont témoigné dans cet épisode, merci à vous de l’avoir écouté et on se retrouve dans deux semaines pour un nouvel épisode « recommandations culturelles ».