Troubles psy, psychophobie & oppressions croisées
#035 04/10/2024
Bienvenue dans H comme Handicapé.e.s, le podcast qui donne la parole aux personnes handicapées parce qu'on ne les entend pas assez. Dans ce nouvel épisode témoignage, vous allez entendre quatre témoignages de personnes qui nous parlent de comment elles vivent avec leurs troubles, que ce soit la bipolarité, le trouble borderline ou le TDI, le trouble dissociatif de l'identité. Mais également des témoignages de personnes racisées qui nous parlent de la difficulté de se dire handicapé quand on évolue dans les communautés noires et arabes. Je vous laisse avec les témoignages.
Témoignage 1 :
Bonjour tout le monde. Je voudrais ici vous raconter mes aventures avec la bipolarité. Mon histoire commence mal pour ensuite nettement s'arranger. Les ennuis commencent il y a une dizaine d'années. Je devais alors me marier, mais juste à la sortie de ma première hospitalisation. La personne avec qui je devais me marier m'a quittée. Au début, je croyais que c'était un burn-out. Une expérience de travail malheureuse couplé à l'organisation d'un mariage n'était vraiment pas une bonne idée. C'était naïf de penser que seulement ces deux choses m'avaient amené à l'hôpital, même si mon internement était volontaire. Avant l'hôpital, je dormais peu. Mais pire, après des nuits de 4 heures, je me réveillais sans souci. Aussi, je méditais au lieu de dormir, ce qui donnait lieu à des flots ininterrompus de pensées nocturnes. J'ai beaucoup maigri pendant cette période, malgré ma voracité. J'étais aussi devenue une source inépuisable de paroles grandioses. J'en ai épuisé mon entourage. Cela a quand même duré quelques mois avant de totalement m'épuiser.
Tout cela m'a amenée à voir plein de psychiatres. Un d'entre eux m'a donné un médicament qui a tout changé pour moi. C'est grâce à ce médicament que j'ai pu prendre conscience de ma bipolarité. Ma phase maniaque, c'est comme être sur un grand voilier avec des vents déchaînés qui change constamment de direction. La meilleure façon de décrire l'effet de ce médicament sur moi est qu'il arrête ce déchaînement pour laisser place à un calme plat. Mais comment faire avancer un voilier sans vent ? N'étant pas encore totalement consciente de ma bipolarité, j'ai lentement mais sûrement arrêté de prendre mon traitement. Erreur qui m'a conduite vers un second internement, cette fois contre ma volonté. L'internement s'est moins bien passé, mais une personne m'a tendrement et fermement tenu la main tout au long de cette épreuve, et celle-ci a encore la patience de surveiller mon humeur pour m'empêcher tout dérapage. Pourtant, je m'en voudrais encore très longtemps de mon comportement avec elle. Juste avant mon hospitalisation, je l'ai prise pour un vampire. Bien heureusement, je n'ai pas touché un seul de ses cheveux, ni ne l'ai maltraité moralement, même si je devenais de plus en plus difficile à gérer jusqu'aux urgences psychiatriques.
Toutes ces péripéties m'ont emmenée au jour d'aujourd'hui. Nous avons acheté une maison dans le sud avec la personne sur qui j'ai eu la chance de tomber et je suis maintenant chercheuse titulaire au CNRS. Je n'en veux plus à celle qui m'a quittée juste après l'hôpital. Beaucoup de gens lui ont peut-être conseillé. Ce n'est pas ça qui a été le plus difficile. Après ma première sortie de l'hôpital, nous devions partir en vacances avec mes amis et ils ont préféré y aller sans moi. Cela montre bien que le trouble bipolaire est encore méconnu et la source de très nombreuses craintes. Il peut pourtant très bien se contrôler. Vous avez peut-être remarqué que je parle de ma bipolarité. Ce n'est pas pour m'approprier ce diagnostic, mais pour souligner que, comme de nombreuses maladies, toutes en fait, la bipolarité se place sur un spectre. Je suis chanceuse, j'ai été diagnostiquée assez tôt pour éviter tout dommage irréparable. Mon traitement ne me cause rien de trop indéritirable et, peut-être le plus important, je suis très bien entourée. Cet entourage m'a notamment appris comment naviguer sur un grand voilier en utilisant juste le courant.
Témoignage 2 :
Pour moi, vivre avec un TDI, c'est avoir un stress post-traumatique complexe qui aurait pris tellement de place dans le cerveau que ça nous empêche d'avoir une vision cohérente de soi-même et un sens de soi cohérent. Du coup, moi, je conscientise vraiment mon TDI et même je le vis principalement comme conséquence de mes traumas. Je ne le vois pas du tout sous un autre angle que ça. Et la plupart de mes symptômes dissociatifs ou même de mes alteres s'axes autour des traumatismes que j'ai vécu, du coup, pour moi, je me sens très proche d'autres personnes qui ont un... un stress post-traumatique complexe, comme si on avait le même type de pathologie, même si elles n'ont pas forcément un TDI. Et c'est difficile de faire la différence entre mon TDI et mes autres troubles. causé par mes traumas, mais je vois surtout la dissociation comme un mécanisme de protection que j'ai dû développer enfant à force de vivre des violences et dont j'ai pas réussi à me détacher parce que mon cerveau avait tellement eu recours à ça que maintenant il ne sait plus fonctionner autrement.
Et mes altères, je les vois comme des parts de moi qui représentent différentes manières de se positionner par rapport aux traumas, qui représentent des... Personne que j'ai été à différents moments de ma vie, comme si mon identité avait éclaté en plus d'une dizaine de manières différentes de réagir aux maltraitances et aux violences que j'ai vécues. Et vraiment, pour moi, l'aspect post-traumatique, il est vraiment central. La première chose que j'essaie de comprendre sur mes altères et les premiers points duquel ils se présentent à moi, c'est vraiment... comment ils se positionnent par rapport à mes parents qui ont été violents avec moi, comment ils se positionnent par rapport à mon passé, est-ce qu'ils ont l'impression que le présent c'est maintenant, ou c'est au moment où on était en train de vivre les traumas. C'est pour ça que je pense que moi j'aurais sûrement pas eu de conscience de ma multiplicité, entre guillemets, si j'avais pas eu les grilles de lecture qui me permettaient de voir les choses comme ça. Donc avec les réseaux, tout ça. Je pense que j'aurais pu aussi guérir autrement. Là, actuellement, on va dire, ma guérison, mon rétablissement s'axe autour du fait de comprendre mes alters et d'apprendre à fonctionner de manière cohérente et pouvoir fonctionner comme une personne entière. Mais si je n'avais pas eu la grille de lecture de la multiplicité, je pense que j'aurais pu trouver des moyens en disant bah c'est... L'enfant que j'ai été, l'ado que j'ai été, comme font beaucoup, beaucoup de gens, en fait, qui sont dans un parcours de rétablissement post-traumatique.
D'où le fait que je n'ai pas eu de thérapie vraiment spécifiée pour le TDI, mais plus des thérapies spécifiées pour le post-traumatique. Et c'est vrai que des fois, ça m'a fait un peu bizarre de voir le TDI être présenté principalement sous une forme de on est plusieurs dans notre tête tout ça, même si, je comprends qu'en fait... Pour les valides, c'est la première chose qu'on voit. Enfin, non, c'est pas la première chose qu'on voit, mais c'est ce qui les étonne le plus. Et peut-être que pour plein de gens qui ont un TDI, c'est la chose la plus marquante qu'ils vivent. Mais pour moi, c'est vraiment pas quelque chose que même... Quand je crée... Puisque je suis illustratrice, et je crée beaucoup de représentations de ce que c'est pour moi de vivre avec mes troubles, je pense pas au fait d'être plusieurs à la fois ou quoi. Mais justement, c'est ce que... J'apprécie, c'est que maintenant, on a eu un moment sur le TDI où on parlait principalement de ça. Et maintenant, justement, la parole s'ouvre à plein d'autres types de vécu, plein d'autres manières de voir son trouble et ses symptômes. Et du coup, voilà, c'est cool.
Témoignage 3 :
Je m'appelle Zeyn, j'ai 37 ans, je suis non-binaire, handipsy, trouble borderline et racisé. Je suis arabe, mes deux parents sont arabes. Je suis né en France, j'ai grandi en France. Il y a mon chat qui veut ronronner dans le micro. J'ai été diagnostiqué borderline il y a plus d'un an, donc à 35 ans. Et je sais qu'il y a pas mal de personnes pour qui le diagnostic a été, si ce n'est une libération, en tout cas un moment de réconfort et de compréhension de qui iels étaient. Ça n'a pas trop été ça pour moi. Moi je l'ai vécu presque comme une condamnation, au sens où je traversais dans ma vie des épisodes dépressifs et des épisodes anxieux très sévères. A chaque fois je me disais peut-être c'est le dernier. Et c'était même pas un peut-être, c'était vital pour moi de me dire que c'était le dernier. Et que si ça n'était pas le dernier, il en restait un nombre limité, au-delà desquels j'allais avoir une vie où ma santé mentale ne serait plus un handicap, ne serait plus un obstacle et une entrave. à une vie heureuse. Et le diagnostic m'a donné l'impression que non, que c'était un cycle sans fin qui m'attendait, de périodes de répit et de périodes de souffrance aiguë.
Et je pense que si mon diagnostic est arrivé aussi tard dans ma vie, c'est aussi parce que précisément je suis une personne racisée et que d'ailleurs dans ma famille, personne... ne sait dire en arabe donc, la langue maternelle de tout le monde. Personne ne sait dire les mots psychiatre, psychologue, thérapie. Ce sont des mots qu'on n'utilise tellement jamais qu'on ne les connaît pas. Et donc il a fallu que moi-même je découvre la psychothérapie puis la psychiatrie. Et donc c'était tard dans ma vie. On n'a pas su comment soigner mes traumas. Lorsque j'ai vécu des traumatismes, personne ne m'a dit il faut que tu sois suivi et que tu parles de toute urgence à un ou une professionnelle. Donc je n'ai pas grandi dans une culture de la parole, dans une culture de l'analyse, de la thérapie, d'une culture où on parlerait de la santé mentale. Et c'est moi qui ai amené ce sujet dans ma famille. J'ai été le premier à aller voir un psy dans ma famille, j'ai été le premier à avoir un psychiatre, j'ai été le premier à être sous médicament en psychiatrie. Ça a été quand même une épreuve supplémentaire, je pense, d'avoir dû faire ça seule. Même si quelque part c'est salutaire, parce qu'on se réapproprie sa santé mentale, mais c'est difficile.
Et je trouve qu'en grandissant dans une famille arabe, c'est très difficile de dire je souffre psychiquement D'autant que j'ai grandi dans un climat de très grande violence, physique et psychologique. Et cette violence... Elle était banalisée, normalisée énormément. Donc à plus forte raison, il n'y avait aucune raison valable, d'après ma famille, pour que quiconque aille consulter et obtenir un accompagnement et une aide professionnelle. Et voilà, mon diagnostic, ça a été juste une étape supplémentaire dans cette espèce de solitude psychique. Et j'ajouterais une dernière chose que je trouve intéressante. C'est qu'en me réécoutant, je m'aperçois qu'à aucun moment j'utilise le terme de soin. Je parle d'accompagnement et d'aide et tout, mais c'est jamais du soin. Alors qu'en fait, c'est du soin. J'ai vécu aussi dans un contexte où la santé mentale, c'était pas du soin. La santé, c'était exclusivement la santé physique. Donc voilà, j'ai trouvé ça intéressant, mon choix de mots.
Témoignage 4 :
Salut, du coup, c'est Elijah. Je m'appelle Elijah, j'ai 25 ans. je suis handicapé, je suis noir, plus précisément je suis autiste, et voilà, je tiens un blog sur lequel je parle de lutte antiraciste et de lutte antivalidiste. Et il y a récemment, enfin il y a récemment, non, il y a un petit moment quand même, j'ai écrit un texte au sujet des luttes antivalidistes noires, et il y a un extrait qui m'a beaucoup parlé, mais qui n'est pas de moi, que j'ai tiré mais je ne sais plus vraiment d'où ça vient. Et ça disait qu'en fait quand on était noir.e et handicapé.e, on pouvait avoir énormément de mal à faire la différence entre... validisme et racisme. Et vraiment ça, ça m'a marqué parce que personnellement, en tout cas pour moi, ça a été très compliqué de faire le distingo entre les deux. La plupart du temps quand je vivais des agressions ou des oppressions, je me disais toujours que c'était lié au racisme. Et je ne connaissais pas encore le validisme, je ne savais pas ce que c'était, ni les luttes anti-validiste. Je ne savais même pas à l'époque encore que j'étais handicapée.
Il n'y a que trop récemment, quand j'ai su... que j'étais handicapé, que j'ai su ce que c'était que l'anti-validisme, les luttes anti-validistes, quand j'ai pu écouter le discours de certains militants, militantes, que j'ai pu lire des livres et aussi écouter des conférences ou des podcasts comme le tien, par exemple. Ben là d'un coup, ça m'a éclairé. Ça m'a vraiment compris un peu mon vécu, de me dire Ah ouais, putain, en fait ce que je vivais, c'était pas que du racisme, mais il y avait aussi du validisme, quoi. Voilà, au fur et à mesure, maintenant j'arrive mieux à comprendre ce que je vis et du coup j'arrive forcément mieux à me comprendre. Et ça m'a aussi permis de mieux comprendre la place que j'avais au sein de ma propre communauté. La communauté noire, en tant que personne noire et handicapée, le validisme il est de partout et il échappe pas aux communautés noires, il est aussi là. Et du coup, le fait de comprendre ce que c'était le validisme, j'ai aussi compris pourquoi parfois je l'ai traité de telle manière au sein de ma propre communauté. Parce que parfois je pouvais pas mettre. Je pouvais pas mettre le chapeau sur le colorisme, ni sur le texturisme, ni sur le featurisme, ni sur le sexisme, ni sur l'intersexophobie, ni sur rien d'autre.
Et j'avais pas ce mot, j'avais pas le mot sanisme ou psychophobie ou validisme. Et quand je l'ai eu, j'ai enfin compris pourquoi parfois j'étais traité comme ça au sein de ma propre communauté. Et au lieu de me sentir un peu comme le monstre bizarre ou quoi que ce soit, d'un coup j'ai compris qu'en fait, ah ben non, putain, c'est... c'est l'oppression, le sanisme, etc. qui fait que tu es traité de telle manière. Et voilà, du coup, la lutte anivalidiste ça m'a aidé pas mal à me comprendre, à comprendre le monde, etc. et je continue encore aujourd'hui d'écrire et...D'écrire, de lire, de parler sur ça et je pense que ça ne me quittera plus, ça ne me quittera jamais. Et surtout j'essaye avant tout de lier les deux, de lier luttes antiraciste et luttes antivalidiste, parce que justement il y a aussi des intersections entre les oppressions et j'essaye de montrer les liens qu'il peut y avoir entre ça, entre le validisme, la psychophobie et tout un tas d'autres oppressions, etc. J'écris dessus, je lis pas mal aussi. Et voilà.
C'est la fin de cet épisode, merci à vous de l'avoir écouté, merci aux personnes qui ont participé à cet épisode. Sur mon site hcommandipodcast.fr, vous trouverez un lien vers le blog de Elijah. Je vous recommande vraiment d'aller voir son blog, en plus des textes qu'il écrit, vous trouverez aussi des poèmes, et plein de ressources et de recommandations de lecture autour des luttes antiracistes et antivalidistes.
Vous trouverez aussi sur mon site un lien vers la boutique Etsy de Partiellement Moi. Partiellement Moi, c'est la personne qui parle de son TDI. Sur sa boutique Etsy, vous trouverez une partie de ses illustrations. Et si vous voulez en voir plus, vous pouvez suivre Partiellement Moi sur Instagram. Merci encore d'avoir écouté cet épisode. Et on se retrouve dans deux semaines pour un nouvel épisode recommandation culturelle.
Blog Elijah :kriptique.blog
Boutique Etsy : Partiellement Moi