Errance médicale & diagnostiques tardifs

Bienvenue dans H comme Handicapé.e.s, le podcast qui donne la parole aux personnes handicapées, parce qu'on ne les entend pas assez. Aujourd’hui, vous l'aurez vu dans le titre, le thème de cet épisode, ce sera l'errance médicale et les diagnostics tardifs, ou autrement dit les diagnostics à l'âge adulte, voire l'absence de diagnostic. Cet épisode est très complet, car il parle de plusieurs oppressions, comme le sexisme, le racisme et la grossophobie, et l'impact et l'importance de ces différentes oppressions dans l'errance médicale et les diagnostics tardifs. Je vous laisse avec les témoignages

Témoignage 1

Tout d'abord, bonjour. Je m'appelle Suzanne, j'ai 26 ans et je suis épileptique, entre autres. Alors mon histoire en fait, elle commence… dans mon souvenir quand j'avais 5 ans et que j'allais à l'école avec ma maman. …Il s'avère que ce jour-là sur la… sur la route pour aller à l'école… j'ai fait une crise d'épilepsie, mais on ne savait pas encore que c'était de l'épilepsie. Je me souviens m’être arrêtée… prise de panique… comme si mon cœur était enfermé dans une petite boîte… avoir regardé ma mère et lui avoir dit « je ne me reconnais plus », ce qui a bien sûr étonné ma mère et l’a mise dans un état un peu… second, de ne pas comprendre ce qui se passait.

Il est important de comprendre que l'épilepsie n'a pas une seule forme. Ce n'est pas pour tout le monde le fait de tomber et de convulser, mais que, dans mon cas, à cette époque-là, il s'agissait d’espèces d'absence, avec un sentiment très désagréable autour, notamment le sentiment que mon cœur était dans une petite boîte qui se refermait très très fort sur elle, et… qui, du coup emprisonnait mon cœur. Au fil des années, les années… au fil des années, pardon, les crises sont devenues de plus en plus… visuelles, c'est-à-dire que j'ai commencé à me baver dessus de manière… assez évidente, jusqu'à former des flaques parfois à mes pieds. Et… et c'est à ce moment-là que j'ai commencé à me dire qu'il fallait peut-être que… je… j'en parle à un médecin. J'étais encore mineur. J'étais adolescente. Donc… mes parents m'ont emmenée voir le médecin de famille, qui n'a rien détecté. Et puis… il y a eu les médecins que j'ai été voir en vacances, parce que les crises, bah bien sûr, se reproduisaient, et les médecins d'autres médecins de ma ville que j'ai vus, et en fin de compte cette errance médicale, elle a duré des années. Je n'ai été diagnostiquée de mon épilepsie que quelques mois avant mes 18 ans, donc j'étais en terminale, et je n'ai eu aucun aménagement pour… mon épilepsie pour mon baccalauréat par exemple.

Quand je refais le… le trajet de… de ces crises d'épilepsie et surtout de ces visites médicales, … bah en fait, je me rends compte que j'ai vu sept médecins en tout, qui ne m'ont pas prise au sérieux, et la raison principale donnée, c'était que j'étais une, je cite « petite jeune fille angoissée qui faisait de la spasmophilie ».
Donc voilà, c'est-à-dire que j'ai une malformation du cerveau, littéralement, j'ai un petit bout de cerveau en trop qui crée des crises d'épilepsie, donc dans mon lobe temporal droit, et… eh bien non, il a fallu que sept médecins m'examinent pour tous me, m'envoyer avec des clichés sexistes de petite jeune fille angoissée qui devait prendre sur elle. Combien de fois est-ce que j'ai entendu des gens me dire que je devais prendre sur moi alors que je faisais des crises d'épilepsie…
J'imagine que tous ces médecins se pensaient… dans leur bon droit, j'imagine. Tous ces médecins se pensaient… apte, mais en fin de compte, il a fallu attendre le septième médecin pour qu'enfin, quelqu'un me dise « écoutez, je ne suis pas spécialiste, mais cela me fait penser à de l'épilepsie donc je vais vous faire une ordonnance pour que vous voyez un ou une neurologue », et c'est ce qui s'est passé. Et à peine est-ce que… à peine ai-je vu la neurologue et lui ai expliqué les sensations que je ressentais qu'elle savait que j'étais épileptique. C'est-à-dire qu'elle n'avait pas eu encore besoin de me faire passer des tests pour le… s'en rendre compte. Et en fait, après les premiers tests, elle me l'a donc confirmé, j'étais épileptique. Pour le confirmer d'autant plus, j'ai fait un examen donc euh… avec privation de sommeil à l'hôpital, qui lui… s'est avéré… très parlant puisque j'ai fait une crise d'épilepsie en direct.

Ce qui a été difficile à vivre, c'est de voir d'abord ces six médecins, tous me dire que j'étais juste une petite jeune fille angoissée, que je devais prendre sur moi et que, en fait… ces crises, elles dépendaient de moi et de ma force de caractère, plutôt que d'un problème… physiologique. Ça a été vraiment compliqué pour moi de… de gérer ça. Donc voilà, cette errance médicale, elle a duré des années, et je ne souhaite ça à personne, parce qu'entre mes 5 et mes 18 ans… il y a quand même un certain nombre d'années qui se sont passés. Donc voilà, c'était mon témoignage par rapport à l'errance médicale.

Témoignage 2

De mon côté, vu que je suis une personne grosse tout de suite, on ne voit que… que la… la façade, c'est-à-dire il faut perdre le poids, et c'est tout. Et en fait, peu importe la situation, peu importe… ce que j'ai, c'est toujours la réponse. Quand on traîne avec des personnes grosses, on a cette espèce de… de, de réflexion un peu drôle où on dit : limite, on va chez le médecin, on tousse, il nous dit de perdre du poids en fait. Parce que même si, évidemment, ils nous diagnostiquent pas de perdre du poids parce qu'on tousse, on va aller se soigner parce qu'on tousse, et ils vont en profiter pour nous dire de perdre du poids, alors que ce n'est pas la raison pour laquelle on vient.

Y a ça, et y a aussi tous les médecins un peu spécialistes d'une thématique, euh… qui eux vont se permettre de parler du poids alors que c'est pas du tout le cœur de leur métier – je parle notamment, euh… des gynécologues quand on vient pour faire un frottis, ou je sais pas, par exemple des… des examens pour le… le syndrome des ovaires polykystiques ou ce genre de choses-là. Alors, le poids peut… peut avoir un impact, mais quand on va voir un gynécologue pour faire un frottis, on n'a pas forcément envie qu'il nous parle de notre poids. Pas du tout même !

En fait, on sait hein, qu'on vit dans ce corps gros, on en a conscience, on se lève avec, on dort avec, on mange avec… on va au travail avec, euh, on est tout le temps avec, on respire chaque seconde de notre journée, on n’a… on n’a absolument pas le répit, on est bien conscient qu'on est gros, hein. Plus si… ‘fin comme si ça, ça ne suffisait pas, la société euh… Donc la société, c'est les gens. D'ailleurs moi je commence à en avoir marre qu'on dise « la société, c'est la société », ce sont les gens, c'est nous qui la faisons la société. Que ce soit les médecins, que ce soit n'importe qui, on sait constamment nous rappeler qu'on est gros et qu'on ne correspond pas, et c'est un problème parce que c'est bon, on le sait déjà en fait, vous n'êtes pas obligés de nous dire euh, à nouveau que, on est gros (petit pouffement de rire sur un ton sarcastique) merci, je n'avais pas conscience, merci beaucoup.

Et donc, quand on va voir les médecins, c'est infernal, on n’est pas lâché.e.s. Et le problème c'est que, bah ça mène à des grosses erreurs de diagnostic, euh, ça mène à… des diagnostics tardifs, et surtout ça mène au fait que, on n'est pas traité.e.s tout court. Moi là, j'ai une maladie que j'ai depuis mes 15 ans, on commence seulement à la prendre en charge, je vais avoir 35 ans à la fin du mois. J'ai aussi un potentiel syndrome des ovaires polykystiques que personne n'a réussi à voir, euh, parce qu'ils ont réussi à voir que l’ovaire droit, ils ont pas regardé l’ovaire gauche parce que soi-disant, ils voyaient rien, et pourtant j'ai été pris en charge par un ponte de la gynécologie soi-disant, d'un hôpital parisien, et il est resté une demi-heure avec moi, et il m'a dit « Non, on voit pas l'ovaire gauche. » Oui mais c'est côté gauche que j'ai mal ! « Oui mais c'est pas grave, on a déjà vu le droit. » Non ! Enfin ! En fait (petit rire triste) non ! Et le problème, c'est que sur le coup, c'est déjà beaucoup de souffrance, c'est pas évident, euh, l'examen peut faire mal, donc en fait sur le coup, il y a pas forcément la force de dire « non mais là vous me faites l'examen jusqu'au bout en fait ! ». C'est-à-dire que ça, c'est facile de dire une fois qu'on est chez soi, mais quand on est face aux professionnels, c'est pas forcément évident.

Et donc moi j'ai plein… donc j'ai potentiellement le syndrome des ovaires polykystiques, mais on sait pas. J'ai potentiellement, euh, des problèmes aux genoux, mais on sait pas. En fait, on me fait des diagnostics à l'arrache, mais vraiment à l'arrache, parce qu'en fait moi je ne rentre pas dans les IRM et les scanners. Même le plus grand, le plus grand, c'est celui euh… de la clinique de l'Essonne à Évry dans le 91, c'est le champ ouvert le plus grand de France, et je ne rentre pas dedans. J'ai essayé, je suis allée sur place et tout ça. Donc en fait moi, je suis toujours diagnostiquée à l'arrache, et je pense que ça va continuer comme ça jusqu'à la fin de ma vie.

Témoignage 3

Coucou Hermine ! Alors ce petit audio pour parler de mon trouble du spectre autistique, et de comment est-ce que j'ai eu euh… j'ai réussi (petit rire) à avoir un… un diagnostic, et encore, je suis pas allée au bout de mon diagnostic parce que c'est vraiment long et que… (grande inspiration) c'est juste épuisant. Donc voilà, je m'appelle Artémise, j’ai 30 ans, je suis maman d’un petit garçon de 7 ans. Et mmh… donc, je suis autiste. (Rire)

Je sais pas très bien où est-ce que je me place sur… sur le spectre autistique, parce que comme je disais au début, je suis pas allé au bout de mon diagnostic. Mais euh… en gros voilà, ce qui s'est passé : j’ai un trouble de la personnalité borderline et… il y avait certains… certains symptômes associés qui ne correspondaient pas totalement au… au trouble borderline, donc on a cherché ailleurs, et euh… mon psychiatre que j'ai commencé à voir depuis… 2020, a posé la question s'il y avait des… des personnes sur le spectre autistique dans ma famille. Donc j'en connais deux, donc j'ai répondu que oui, il a dit qu'on va peut-être creuser de ce côté-là pour voir et voilà.

Alors au départ, il faut savoir que mon diagnostic du trouble de la personnalité borderline, on l'a fait uniquement pour que je puisse avoir accès, euh, à l’ALD et plus tard à l’AAH quand ce sera ouvert aux maladie mentale, ce qui est le cas depuis janvier 2023. Donc voilà, il m’a redirigé vers un psychiatre spécialiste du trouble autistique, avec lequel on a commencé des tests… j'avais 26 ans à l'époque. On a commencé les tests, ça a duré plusieurs mois parce que plusieurs rendez-vous, et fallait réussir à me caser… (petit rire) dans… dans, dans tous les rendez-vous, donc voilà, j’ai été diagnostiquée à 26 ans, après des années d’errance médicale. Genre dans la même année, j'ai eu mon diagnostic pour le trouble du spectre autistique et pour le trouble de la personnalité borderline, après des années d’errance médicale, sachant que je vois des… des psychiatres, psychologues depuis mes 13 ans, parce que j'ai fait une première crise de dissociation à 13 ans. Voilà.

Faut savoir que le trouble du spectre autistique est très… faiblement diagnostiqué chez les femmes. Donc je suis une personne racisée, sexisée, non binaire, et je suis aussi une personne noire, donc euh… chez nous, les troubles mentaux, les maladies mentales, les troubles neurodivergents, ça n'existe pas, c'est un truc de blanc. Donc ma famille n'a jamais cherché à me faire diagnostiquer, et au contraire, il fallait que je masque tous les signes pour pouvoir avoir une vie relativement… normale, et ce que le diagnostic m'a apporté, comment dire… (elle souffle) un soulagement de savoir que ça vient de quelque part et que c'est pas juste moi qui suis… quelqu'un de bizarre et d’inadapté, que c'est tout un système qui est… qui est mis en place pour nous invisibiliser et encore plus quand on est une femme, encore plus quand on est une personne noire, et puis surtout, bah je correspondais pas aux stéréotypes de… de l'homme blanc autiste hyper intelligent, qui ne sociabilise pas, qui parle à personne, etc., parce que j’oralise beaucoup, j’ai pas de mal à me faire des ami.e.s etc., donc je correspondais pas à tous ces stéréotypes-là, et donc c'est vrai que… enfin mes premiers médecins, l'autisme ne leur a jamais traversé l'esprit. Donc je suis contente d'avoir eu ce psy-là et qu'il ait eu la vigilance de… d'alerter à ce sujet et voilà.

Témoignage 4

Je m'appelle Flora, j'ai 30 ans. J'ai été diagnostiquée autiste et TDAH à 27 et 28 ans suite à un parcours professionnel jalonné de fins de période d’essai à l'initiative des employeurs, de non-renouvellements de CDD, de longues périodes de chômage. Tous ces échecs professionnels m'ont fait tomber en dépression, car je ne comprenais pas pourquoi je galérais autant dans la vie. Le diagnostic d'autisme m’a fait encore plus tomber au fond du trou, car j'ai malheureusement grandi dans une famille où le handicap est vu comme une tare, et je me suis dit que je n'arriverai jamais à rien dans ma vie et que je n'avais donc plus de raison de vivre. Mais je me suis dit que si j'obtenais un diagnostic officiel d'autisme, j'aurais donc une reconnaissance de personne handicapée et que je pourrais prétendre l’AAH, et donc obtenir une stabilité financière, chose que je n'avais jamais connue, ayant enchaîné les embûches au niveau professionnel et personnel, en ayant été dans une relation toxique de couple dans laquelle j'ai été maltraitée psychologiquement et physiquement, et dont j'ai eu du mal à me sortir à cause de toutes les galères professionnelles et personnelles que je rencontrais.

D'ailleurs l'accès au diagnostic d'autisme reste encore un privilège en France et c'est inacceptable, car ça mène les autistes non diagnostiqués à une grande détresse psychologique et financière. J'ai donc demandé l’Allocation Adulte Handicapé, que j'ai obtenue, car j'ai un handicap de 50 à 79 %, ainsi qu'une restriction substantielle et durable d'accès à l'emploi. Sauf que j'ai obtenu l’AAH pour seulement deux ans, que je suis en attente de la réponse pour le renouvellement de mes droits… C'est extrêmement angoissant, surtout pour une personne autiste et extrêmement anxieuse, de ne pas savoir si je vais continuer à percevoir l’AAH ou si je vais me retrouver au RSA et donc en encore plus grande précarité financière, surtout qu'on ne vit pas, mais on survit en étant allocataire de l’AAH. On vit sous le seuil de pauvreté. On est éligible à l'aide alimentaire des assos, telles que la Croix-Rouge, les Restos du cœur.

D'ailleurs en allant me réinscrire à la Croix-Rouge hier, j'ai croisé une de mes voisines qui était bénévole, et j'ai pleuré du coup on la voyant, car j'ai eu honte de dépendre de l'aide alimentaire pour vivre. J'ai donc été rassurée par les bénévoles qui m'ont dit que c'était pas de la charité mais de la solidarité, mais je me suis quand même sentie honteuse, et cette fameuse voisine m'a dit que c'était qu'une mauvaise passe à passer, et j'ai dit non, non, je suis handicapée, je le serai toute ma vie. Donc tant que l’AAH me permettra tout juste de survivre, j'aurai toujours besoin de la Croix-Rouge pour manger comme il le faut. Et je trouve ça terriblement triste et injuste qu’en 2023, dans le pays des droits de l'homme, les handicapé.e.s soient traités de la sorte, doivent constamment renouveler des dossiers MDPH afin de justifier notre handicap, et d'avoir l'impression de demander la charité, alors que nous ne sommes pas des sous-citoyens, que dans un pays civilisé comme le nôtre, nous ne devrions pas vivre comme ça et être discriminé.e.s dans tous les domaines de la vie, au niveau de l'emploi, du logement, de l'accessibilité des lieux publics…

La déconjugalisation de l’AAH en 2023, le remboursement des fauteuils roulants, mieux vaut tard que jamais. J’ai également besoin d'un suivi psychologique en libéral pour travailler mes nombreux traumatismes causés par mes 27 ans de personne autiste non diagnostiquée, et se sentant complètement seule, incomprise et en décalage avec le reste du monde, la relation abusive avec mon ex et ma famille… En espérant que des partis politiques un peu plus humains arrivent au pouvoir et nous permettent enfin de vivre dignement, et que les gens deviennent plus ouverts d'esprit et plus humains, et quand je vois des handicapés eux-mêmes qui ont tellement intériorisé ce discours hyper valide et qui se satisfont de toucher moins de 1000 € par mois, je me dis que le combat n'est pas gagné.

Témoignage 5

Il est 3h11 et je t'écris le message. Je t'écris ? Je parle ! De mon quotidien. Mon quotidien de personne handi, c'est d'avoir trouvé ce que Manon a pu nommer... dans l'un des épisodes comme étant des contraintes positives. Pendant une année et demie, j'ai vécu en ville, et en tant que personne autiste, en tout cas qui a découvert son autisme il y a déjà plus de deux ans, j'ai enfin pris la décision de trouver les contraintes positives pour ma vie. Et la contrainte positive que j'ai créée, c'est de déménager à la campagne,d'avoir accès à la nature aussi facilement que possible, d'avoir accès à tout ce qui me fait du bien et tout ce qui me permet de sortir tous les jours, d'avoir la contrainte d'aller au magasin tous les jours à maximum 19h, de devoir me nourrir à maximum 19h et d'avoir toujours, toujours le soleil qui brille dans ma maison. je voulais être seule, je voulais avoir de l'espace pour ne m'occuper de personne d'autre et c'est quelque chose que pendant toute ma vie, pendant 26 ans, je n'ai jamais pu faire. Alors voilà ma vie d'handi, j'ai toujours dû prendre soin des sentiments des autres et maintenant depuis 6 mois j'apprends à prendre soin de moi d'une toute autre manière en toute autonomie et au début ça m'a fait peur. Au début, j'ai fait des crises d'angoisse. Et maintenant, je sens que cette contrainte qu'est la campagne n'en est plus une. C'est juste chez moi. Et chez moi, je n'ai toujours pas accès à toutes les aides dont j'ai besoin. Mais chez moi, j'arrive à maintenir une santé mentale qui ressemble à quelque chose. À quelque chose que j'ai envie de vivre. Et après 15 ans, je peux enfin dire que j'ai vraiment, vraiment envie de vivre. Et ça, c'est plutôt badass.

Du coup, dans mon quotidien, à la campagne, depuis 6 mois, je vais tous les jours à la librairie. Je vais tous les jours parler avec Hassan. Dans mon quotidien, je vais toujours boire la même boisson pendant ma journée. Dans mon quotidien, je vais probablement parler physiquement avec quelqu'un que je connais une fois par semaine. Et ça me suffit. Je peux parler avec mes potes, avec tous les moyens de connexion que j'ai. Et je peux m'épanouir dans mon besoin de solitude. Parce que c'est là que je trouve le plus de quiétude. Il est 3h14 et je ne sais pas si je vais dormir. Mais c'est pas vraiment le plus grand de mes soucis. J'espère que demain j'aurai moins mal qu'aujourd'hui. Mais si j'ai plus mal qu'hier, ça ira quand même. J'appellerai quelqu'un, je le ferai savoir. Bisous. Ah oui, j'allais oublier, dans mon quotidien, j'ai une meute de doudou. qui m'accompagne depuis des années. J'ai un doudou en particulier qui s'appelle Kosmos, qui est un éléphant. Il fait 30 cm de haut, toujours assis, toujours les bras ouverts. Et depuis 15 ans, on navigue le monde ensemble. C'est grâce à Kosmos que j'arrive à rester en contact avec le réel. Parce que tous mes souvenirs sont liés à sa présence. Tous mes bons souvenirs sont liés à sa présence. Tous mes mauvais souvenirs ont été réconfortés par sa présence. Et peut-être que c'est juste ma vie d'autiste. Ou peut-être que je devrais vraiment, vraiment adopter un animal. Mais l'idée de devoir gérer des poils me fait des crises d'anxiété. Ça me donne envie de déjà prénettoyer ma maison (rire). J'ai un appart, pas une maison. Voyons, on est pauvres (soupire). Mais là où Kosmos est, je me sens bien.

Du coup, je vais plus ou moins partout là où je peux aller avec Kosmos. S'il y a des cafés dont je connais les propriétaires, j'y vais avec Kosmos. Je vais partout avec Kosmos, c'est mon compagnon de vie, c'est mon compagnon émotionnel, c'est tout. Je peux tout projeter sur Kosmos, je peux tout apprécier avec Kosmos, je peux tout pleurer avec Kosmos. On m'a souvent refusé les larmes, on m'a souvent refusé la douleur, on m'a refusé la rage. Et cette solitude, elle m'autorise tout. C'est une solitude choisie, c'est une solitude qui fait du bien. et cette solitude, ce n'en est pas une en fait. C'est l'absence de présence, et les présences sont entièrement intentionnelles. Je vais là où je veux, je veux là où je vais, et ce sera toujours avec de l'enthousiasme et de la joie. Depuis que j'habite à la campagne, je ne pense plus à la sécurité de mon corps, à la sécurité de mon vélo, à la potentielle perte de ma vie dans l'espace public. Je ne vois pas la police tous les jours, je ne pense pas à la police tous les jours. Je suis noire, je suis trans et je passe depuis 6 mois la majeure partie de mon temps à ne pas penser à ma condition identitaire. Et vraiment, c'est tout ce que je nous souhaite.

Merci aux personnes qui ont témoigné dans cet épisode et merci à vous de l'avoir écouté. Je rappelle encore une fois que le podcast est disponible sur toutes les applis de podcasts habituelles, Deezer, Spotify, Apple podcast, etc., ainsi qu’en vidéo YouTube sous-titrée et en retranscription sur mon site hcommehandipodcast.fr. Et si vous aimez le podcast, n'oubliez pas de mettre 5 étoiles sur Spotify ou Apple podcast. Merci encore d'avoir écouté cet épisode et on se retrouve dans deux semaines pour un nouvel épisode recommandation culturelle.